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Marmont nous barbe ! - 11 janvier 2019

Depuis mon article du 6 janvier dernier,
surtout après celui du lendemain, j'ai aussi reçu des reproches :
« Marmont nous barbe ! »
J'en suis d'accord parfois.
Aussi ai-je épargné à mon public le récit des campagnes,
même abrégé ; surtout celui des batailles, et sur le tout du tout des batailles perdues !
Car, dans ce cas, Marmont se plaît encore à « refaire le match »
comme s'il était au café des Sports & du Commerce réunis.
On ne me croit pas ? On dit que j'exagère ?
Pour nous en tenir à deux exemples pris dans le tome VI :
« Si, en cette circonstance, Napoléon eût accepté ces avis
comme ils devaient l'être, s'il eût, en conséquence, marché immédiatement, il est possible que l'armée de Silésie
eût été détruite. Au lieu de cela... » (p. 198)
Un peu plus loin (p. 237), 
« si l'infanterie eût pu concourir aux combats... »
N'est-ce pas ce qu'on entend couramment au café de la Place ?
Je parle d'expérience !
Et ce n'est pas à moi qu'on ferait ce reproche :
« Combien souvent les gens les plus distingués
[n'est-ce pas pourtant tout à fait moi ?], étrangers aux choses
qu'ils n'ont pas apprises, sont ridicules en en parlant. »
(T. II, p. 152)

Marmont nous avait pourtant bien prévenus : 
« J'eus l'occasion de voir combien les hommes ordinaires
se laissent prendre facilement aux mots : enfants et niais
à tout âge. » (T. II, p. 108) 
Mais lui n'est pas de ces « hommes ordinaires » (il a parfaitement compris à quoi menaient réellement le 18 brumaire et la Constitution de l'an VIII).
D'ailleurs, et comme Kevin au café des Arts, 
il y a toujours lui et les autres :
« Nous fîmes, moi et ceux qui m'entouraient,
une petite plaisanterie qui tenait à notre âge... » (T. II, p. 168)
« Les plénipotentiaires furent moi et le colonel Sébastiani. »
(T. II, p. 175)
Il ironise pourtant volontiers.
Ainsi lorsqu'il prête ces paroles à Joseph : 
« Sans l'armée, sans mon frère [il s'agit bien sûr de Napoléon], 
je serais paisiblement roi d'Espagne 
et reconnu de toute cette immense monarchie » ;
et qu'il en conclut : « Il est donc dans la nature de l'homme 
de ne pouvoir supporter la prospérité et la puissance, 
puisque des personnes sorties des simples rangs de la société avaient perdu si vite le souvenir de leur point de départ ; 
et n'est-il pas juste d'avoir alors quelque indulgence pour ceux 
que la flatterie et les illusions ont entourés dès leur berceau ! » (T. IV, p. 71)
De même, à propos du peu de clairvoyance de Murat 
lorsque celui-ci n'est pas loin de perdre le trône de Naples :
« Je vis journellement et familièrement Murat.
Je le retrouvai bon camarade et sans prétention. 
Il se mit en frais d'amitié pour moi. Je payai cette bienveillance par la complaisance avec laquelle j'écoutai, chaque jour, 
les récits qui concernaient ses États. Il me parlait souvent surtout de l'amour que lui portaient ses sujets. Il y avait dans son langage une candeur risible, une conviction profonde d'être nécessaire 
à leur bonheur. » (T. V, p. 257)

Si je me suis, dans cet article, un peu payé la tête de Marmont
(alors que j'ai passé l'été dernier de délicieux moments
sur la plage avec lui !),
c'est pour le punir de cette mauvaise action qu'il relate
et dont il n'a absolument pas conscience :
« Les couvents en Espagne, si considérables, 
bâtis si solidement peuvent, avec quelques arrangements,
devenir d'excellents postes [...] 
On se servit des murs des cloîtres après avoir défoncé les voûtes,
comme de revêtements de l'escarpe, et de la contrescarpe,
et les cloîtres devinrent les fossés [...]
Ces travaux furent conduits avec la plus grande activité possible. »
(T. IV, p.88)
C'est du beau, M. l'artilleur !
Le 6 mai 1811 en effet Marmont avait rejoint l'armée 
« réunie sous les murs de Rodrigo » 
et Masséna lui en avait remis le commandement.

Et c'est à Ciudad-Rodrigo, qu'était né, quelque six mois plus tôt,
Alfred Junot (le fils de Michel Junot, le duc d'Abrantès, 
avec lequel Marmont nous dit avoir « toujours été très-lié depuis [sa] première jeunesse, et qui avait un véritable et profond
attachement pour [lui] », sans préciser cependant 
si cet attachement était réciproque...), Alfred Junot, 
plus tard duc d'Abrantès après son père et son frère aîné,
plus tard marquant un tout autre intérêt, lui, 
pour le patrimoine bâti ; et que l'on a déjà rencontré, 
et pour cette raison, dans un précédent article de ce blogue.
Le monde est décidément petit comme jamais.
Aussi va-t-on bien finir par ne plus s'y perdre...