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On m'a demandé des nouvelles de Marmont - 6 janvier 2019, de l'Épiphanie

Oui, on m'a demandé des nouvelles de Marmont.
Preuve que parmi mes lecteurs, 
certains me suivent de très près dans mon labyrinthe.
Amazing !
Et qu'ils sont, par ailleurs (ou bien de ce fait),
tout à fait de leur temps.
Je ne flatte pas mon public ; 
car j'ai bien cru relever un peu d'ironie 
dans la demande qui m'était faite des nouvelles de Marmont : 
on n'a pas cru tout à fait que je lirais jamais,
ainsi que je suggérais que j'allais le faire,
dans un précédent article du mois de juillet, l'année dernière,
les neuf volumes des Mémoires du duc de Raguse.
On a cru qu'ils n'avaient que valeur esthétique,
dans le contexte curatorial de La Beytour.
J'avoue m'être arrêté au tome VI 
qui s'achève en 1814, avec les événements que l'on sait
et qui ont conduit à la chute de l'Empire,
lorsque fin septembre j'ai cessé d'aller à la plage.
Car oui, c'est sur la plage que j'ai lu les Mémoires de Marmont
qui ne sont pas pourtant ce qu'on appelle un roman de plage ;
ce dont on se convaincra par d'autres articles à venir.
Mais c'est que suis bien trop occupé par ailleurs !
Et c'est donc sur la plage encore, l'été prochain,
que je lirai les trois derniers tomes ;
surtout quand on y battra le pavé de Paris...

Aussi, puisqu'on veut des nouvelles, en voici :
Et d'abord, le portrait de Napoléon, obligé, 
et qui se dégage de manière bien cruelle !
« Je l'ai toujours vu extrêmement sensible à l'étalage 
de sa puissance. » (T. II, p. 227)

Pourtant, Marmont affirme un peu plus tôt (T. II, p.157) 
que « le général Bonaparte s'en engoua [de Guillaume Brune], 
on ne sait pourquoi [mais il dit pourquoi] : 
il céda sans doute pour celui-ci, 
comme pour Gardanne et pour tant d'autres mauvais officiers, 
à l'effet toujours produit sur lui par une grande taille 
[et le général Brune était effectivement très grand]. »
Mais est-ce tellement contradictoire ?
L'un n'est-il pas le comble de l'autre ?
Ce qui est amusant, c'est de retrouver, au passage,
la même fascination, disons, pour les hommes grands 
chez Chateaubriand (voyez dans les Mémoires d'outre-tombe
comme il parle des Goths), pourtant l'exact opposé de Napoléon...
Les grands hommes ont parfois de ces complexes !
Tout le monde n'est pas Saint-Simon.

T. II toujours, p. 243 : 
« Le lendemain [de Wagram, 6 juillet 1809],
l'Empereur monta à cheval, et, suivant son usage, parcourut 
une partie du champ de bataille [...] Je n'ai jamais compris l'espèce de curiosité qu'il éprouvait à voir les morts 
et les mourants couvrant ainsi la terre. »

Dans le même ordre, « je ne peux omettre de rapporter 
[on est en Champagne, en 1814, et c'est toujours Marmont qui parle] un mot de Napoléon qu'il me dit en cette circonstance, 
et qui prouve combien il était devenu insensible 
aux malheurs publics et privés. Le mouvement des armées, 
les besoins des troupes et l'indiscipline causaient la désolation des pays qui étaient le théâtre de la guerre [...] 
Les troupes françaises contribuaient, pour leur bonne part, 
aux souffrances des habitants. J'en parlai à l'Empereur, 
et je m'apitoyai sur leur sort. L'Empereur me répondit 
ces propres paroles qui ne sont pas sorties de ma mémoire : 
"Cela vous afflige ? eh ! mais il n'y a pas grand mal ! 
Quand un paysan est ruiné et que sa maison est brûlée, 
il n'a rien de mieux à faire que de prendre un fusil 
et de venir combattre." » (T. VI, p. 219)

« L'orgueil a toujours été un des traits les plus marquants 
du caractère de Napoléon ; aussi tous les actes 
qui mettaient sa puissance en relief 
lui causaient de grandes jouissances. »
[On est au moment de l'établissement du blocus continental]
(T. III, p. 366)

« La grandeur de Napoléon a été en partie son ouvrage ; 
mais les circonstances ont singulièrement favorisé son élévation. Son arrivée au pouvoir a été l'expression des besoins 
de la société d'alors, mais sa chute, c'est lui seul qui l'a causée. Il a mis une plus grande et une plus constante énergie à se détruire qu'à s'élever, et jamais on n'a pu faire une application plus juste qu'à lui de cette observation, que les gouvernements établis ne peuvent tomber que par leur faute et meurent toujours par une espèce de suicide. [Marmont termine le paragraphe par] L'Empereur me reçut à merveille à mon arrivée à Paris. » (T. III, p.449)

On connaît trop l'anecdote du « Regardez là-haut » adressé
par Napoléon à son oncle, le cardinal Fesch.
La revoici, rapportée par Hervé Molla qui la tient de Marmont
à qui elle a été rapportée par Duroc [à Fontainebleau en 1809] :
« Regardez là-haut, lui dit-il, voyez-vous quelque chose ?
- Non, lui dit Fesch, je ne vois rien.
- Eh bien, sachez donc vous taire, reprit l'Empereur,
moi, je vois mon étoile ; c'est elle qui me guide. »
(T. III, p. 340)

Ce pauvre Duroc, « ombre de l'Empereur » ! Il meurt au T. V, p. 109 
(Ne serais-je pas en train de faire mon Napoléon ?) :
« [Duroc] me dit ces propres paroles : "Mon ami, l'Empereur
est insatiable de combats ; nous y resterons tous, voilà notre destinée ! »
Duroc, duc de Frioul, est tué par un boulet de canon, quelques instants plus tard...

« Enfin, quand je le quittai, il [Napoléon] me dit 
ces propres paroles : "L'Échiquier est bien embrouillé ; il n'y a que moi qui puisse s'y reconnaître." Hélas ! c'est lui-même qui s'est perdu dans ce labyrinthe. » (T. V, p. 256)
Amazing ! 
Qu'aurait fait Napoléon à l'ère des « réseaux sociaux » ?

« Napoléon ne regardait alors [octobre 1813] comme vrai 
que ce qui entrait dans ses combinaisons et son esprit. »
[...]
« Ce n'est pas l'histoire complète de la guerre que j'écris, 
mais seulement le récit des événements qui me sont 
particulièrement personnels. » (T. V, note p. 281, p. 289)

« Napoléon mit en doute la vérité de ces rapports.
Cela était opposé aux idées qu'il s'était faites. 
Déjà depuis longtemps, il s'était montré incrédule 
à tout ce qui contrariait sa manière de voir. »
(T. VI, p. 198)

Enfin (T. VI, p. 207) : « Cette reddition de Soissons 
[par le général Moreau qui y commandait, 
et qui n'a rien à voir avec cet autre général Moreau
beau-père d'Ernest Dubois, vicomte de Courval 
dont il est question en fin d'un précédent article
est le véritable moment de la crise de la campagne.
La fortune abandonna ce jour-là Napoléon.
[...]
La fortune de la France, le sort de la campagne,
ont tenu à une défense de Soissons de trente-six heures. »
(T. VI, p. 207)
On est bien peu de chose, mon pauvre monsieur !

C'en est donc fini dès à présent de Napoléon.
Marmont s'en console ici (et là il s'en justifiera : 
et là-bas encore, tout le monde sait cela) :
« Les intervalles de mes petits carrés furent pendant longtemps
remplis par la cavalerie ennemie, et trois fois de suite,
ayant voulu sortir d'un carré pour passer dans un autre,
je fus obligé d'y rentrer précipitamment.
[...]
Je n'eus pas un seul carré d'enfoncé. »
(T. VI, p. 234)
Cela se passait « sur un grand plateau près de Soudé ».
Hélas, à l'entrée « Soudé », Wikipédia n'en dit pas un mot.
C'est qu'on est bien peu de chose, ma bonne dame !
Et que l'art se cache souvent dans les interstices...

Mais aujourd'hui, et même si les choses avaient ici mal commencé,
avec Napoléon jouant à l'art de la guerre, 
et sous la plume de Marmont,
on terminera par cette heureuse épiphanie de « petits carrés ».




La Grande Figure humaine,
collage en 676 onglets sur Canson® 55 x 55 cm, 2017
Composition : échantillonnage de framboise bio. écrasée 60,49%,
cuir d'agneau Maison Martin Margiela® 32,24 %
© Hervé MOLLA - 2019

La Grande Figure humaine, 
collage en 676 onglets sur Canson® 55 x 55 cm, 2017(détail)
Composition : échantillonnage de framboise bio. écrasée 60,49%,
cuir d'agneau Maison Martin Margiela® 32,24 %
© Hervé MOLLA - 2019