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1er décembre 2020 - J'ai mobilisé une tour

 
Château de Pinon - Tour
Carte postale, marquée
du cachet de la poste de Pinon (Aisne)
à la date du 16 décembre 1905
et à destination de Ribémont (Somme)
D'après une photo de N. Aubry, à Soissons,
Guyart Éd., avenue de la Gare,
à Pinon (Aisne)
© Coll. Hervé MOLLA- 2020



Domaine de Pinon - La tour
Carte postale, marquée
du cachet de la poste de Pinon (Aisne)
à la date du 5 août 1906
et à destination de Paris 16e
Sans mention d'éditeur
© Coll. Hervé MOLLA - 2020



De cette tour néogothique, 
il ne restera rien douze ans plus tard.
Si l'on a lu mon article de ce blogue
à la date du 11 novembre 2018,
et de même celui, tout aussi proche, du 20 novembre 2020,
et qui complète le premier,
on sait pourquoi.

Heureusement, on dispose encore de l'opuscule déjà cité,
qui va nous en dire plus,
et de la tour et de ce qu'elle abritait.
En outre, elle apparaît sur deux des trois lithographies de l'auteur, contenues dans ce petit ouvrage :
l'une sur laquelle elle se trouve le sujet ; 
et la seconde qui permet de la situer (au sud, sud-est)
sur sa butte par rapport au château du XVIIIe siècle.



Tour de Pinon
Vue prise de l'avenue d'arrivée

Victor Petit del. et lith.
Imp. Thierry frères, Paris
Lithographie sur Chine, 148 x 84 mm au trait
© Coll. Hervé MOLLA - 2020


Château de Pinon
Vue prise de la grande avenue d'Anizy

Victor Petit del. et lith.
Imp. Thierry frères, Paris
Lithographie sur Chine, 84 x 148 mm au trait
© Coll. Hervé MOLLA - 2020



Victor PETIT  :
« Après avoir suivi un tracé en lacet, on arrive à la tour, ou plutôt au pied de la muraille crénelée qui sert d'enceinte au donjon lui-même. Des lierres magnifiques et une multitude de plantes grimpantes couvrent de leur feuillage une grande partie de cette muraille de forme irrégulière et de 5 mètres de hauteur en moyenne. Presque au centre de cette enceinte s'élève le DONJON ou TOUR de Pinon. »
Vient toute une page où on l'on comprend bien que Victor PETIT est comme embarrassé d'avoir à louer cette architecture néo-gothique qui manque encore de patine :
« Sans nous arrêter aux exigences actuelles de la science, nous admirerons sans restriction le résultat obtenu à une époque où nulle personne n'eût fait mieux, et où le plus grand nombre n'eût pas fait si bien. »
Déjà, « le plus grand nombre » ! 
Je ne saurais bien sûr pas donner tort à Victor PETIT !
Ce dernier poursuit :
« Loin donc de nous montrer sévères et méticuleux envers les monuments qui furent, il y a vingt ans, construits dans un style imité de moyen-âge, nous serons les premiers à proclamer leur beauté relative, et à nous montrer profondément reconnaissants envers les hommes d'élite qui ont relevé et fait resplendir, aux yeux de la multitude étonnée, la magnificence de notre architecture et de nos arts nationaux durant le moyen-âge. »

La tour a en effet été construite entre 1821 et 1828 (et se trouve donc contemporaine de notre petit chalet de 1826, que l'on a vu et revu) ainsi que le relève Victor PETIT sur une stèle de la « salle des gardes » au rez-de-chaussée de la tour (mais oui, la « salle des gardes » est au rez-de-chaussée !) :
« L'an de grâce 1821, Ernest-Alexis Dubois, vicomte de Courval, commença ce monument en entier de sa composition. Tout l'ensemble et les détails ont été exécutés de sa main, d'après les règles de l'architecture gothique, dans le style du XIIIe siècle. Il l'a terminé l'an 1828. »
Dans ce contexte, on comprend que Géricault, avec sa fameuse Scène de naufrage, ait fait scandale au Salon de 1819 !
Il faut cependant reconnaître au vicomte de COURVAL le mérite d'avoir œuvré ex-nihilo, sans avoir porté atteinte à un bâtiment antérieur (à certains endroits de l'une de mes maisons, du XVe siècle, on s'est bien appliqué à dessiner un faux-appareil, comme on pouvait en dessiner au XVe siècle en effet, mais autour de 1900 ce fut au ciment !); aussi serais-je encore moins sévère que Victor PETIT. 
Mais surtout, ne nous faisons-nous pas tous (ignorants comme spécialistes supposés) une idée du passé ? Nous qui avons le plus grand mal à comprendre nos contemporains, souvent, nous aurions la prétention de mieux comprendre ceux des siècles passés ? Ce n'est pas sérieux...
Continuons la visite.
Avant d'entrer dans cette SALLE DES GARDES du rez-de-chaussée, et depuis la porte d'entrée de l'enceinte (située au sud et que l'on voit sur la première des deux lithographies) nous avons monté « un escalier de pierre de 14 marches qui aboutit au terre-plein de l'enceinte ». Là, on a compté les machicoulis [sic] de la tour, « au nombre de 31 ».
(cf note 1 en pied d'article)
Au rez-de-chaussée donc, « près de deux cents pièces d'armures garnissent les parois de la salle [...] 
Mais avançons vite car trop de choses nous retiendraient.
Quarante marches [...] conduisent à la salle du premier étage, nommée : 
SALLE DES CHEVALIERS
[...]
Une très-remarquable collection d'armures, composée de près de cent pièces, mérite par le choix sévère, l'ancienneté et la rareté des objets qui la composent, de fixer longtemps l'attention des amateurs. Nous ne pouvons nommer toutes les armes qui décorent cette belle salle, [...] cela nous mènerait trop loin. [...] Nous quittons bien à regret ce rare et curieux musée pour monter dans la salle du deuxième étage ; trente marches y conduisent.
SALLE DES DAMES
[...]
On remarque [...] un vieux registre destiné à recevoir les pensées plus ou moins naïves des nombreux visiteurs que reçoit la tour de Pinon. Ce livre est, malgré beaucoup de feuillets insignifiants, fort curieux à parcourir : on y trouve la signature la plus humble à côté des noms les plus aristocratiques ; un nom obscur près d'un nom célèbre.
PLATE-FORME DE LA TOUR
Trente-quatre marches, déjà fort usées, conduisent au sommet de la tour, etc. »

Victor PETIT, qui révèle incidemment que la graphomanie était encouragée longtemps avant l'avènement des réseaux sociaux, ne pouvait se douter qu'en cours de chemin, la tour de Pinon recevrait une visite qui lui serait fatale et l'empêcherait de parvenir jusqu'à nous autrement qu'en images.
On doute fort que le livre d'or ait alors été signé par les deux augustes visiteurs, assurément parmi « les plus aristocratiques » qui se puissent trouver, selon ce que Victor PETIT entend par cette expression - et même si le second, selon certains, pourrait surtout figurer parmi les « lamentables » : le kaiser Guillaume II et le kronprinz Guillaume.
Auront-ils pris le soin de compter les marches et les mâchicoulis, à la manière de Victor PETIT ?
Quant à moi, je puis assurer que ce dernier s'est trompé,
au moins par omission...

Note 1 :
Ce « nombre de 31 » que Victor PETIT affecte aux mâchicoulis et dont il juge bon de nous informer, 
et alors qu'il nous intime l'ordre de ne pas nous attarder,
me rappelle un très-important « work in progress » intitulé « Sans Judas, pas de Christ ? » (en 31 panneaux précisément)
que j'avais réalisé, pendant l'été 1998 me semble-t-il, au château de Cassan (un édifice majeur du Languedoc, révélé au public par ses propriétaires et mécènes d'alors), travail dont le résultat monumental avait été présenté secondairement, à la manière d'une installation, dans différents lieux de monstration et dans différents contextes, et que je pensais avoir documenté sur ce blogue. 
Apparemment, il n'en est rien. 
C'est très-dommage. Aussi vais-je m'efforcer d'y remédier.